Aide de la France à la Côte d’Ivoire: Dette souveraine extérieure et rachat du patriotisme économique

Une aide exceptionnelle de 580 millions d’Euros (environ 380 milliards de FCFA) sous la forme de prêt souverain a été accordée aux autorités gouvernementales ivoiriennes par l’Union Européenne dont 400 millions d’Euros provenant de la France. Payer les fonctionnaires, effectuer des dépenses sociales d’urgenc, suite au chaos relevant des affrontements militaires, rembourser les arriérés d’intérêts d’emprunts à l’égard d’institutions financières et sur le marché des euro-obligations, sont les raisons évoquées par les représentants des ministères français des affaires étrangères et de la coopération dans la mise en place de cette aide budgétaire.

Il est intéressant de rappeler que ce montant représente plus ou moins 10% du budget annuel moyen de la Côte d’Ivoire et (est sensé être) amorti sur 9 années. Cette aide publique parait donc positive pour le développement, car force est de constater que les finances publiques sont au rouge, de même pour l’investissement qui est en fort ralentissement.

Cependant, des questions et non des moindres se posent quant à l’utilité d’une telle somme, au vu des raisons évoquées, de (la période où) cet accord bilatéral s’est effectué, de l’opacité des conditions contraignantes de ce prêt, mais aussi du degré d’efficacité relevant des performances politico-économiques du pays. (Est-il naif) de croire au caractère nonapolitique de cette intrusion directe dans les finances publiques de l’Etat ivoirien ? Où alors qu’est-ce qui justifierait une soudaine philanthropie des économistes de Paris-Bercy à l’égard d’une économie dite moribonde ?

Dette extérieure: définition et concept

La dette souveraine extérieure représente l’ensemble des emprunts contractés par les pouvoirs publics d’un pays auprès de créanciers (privés ou publics, bilatéraux ou multilatéraux) extérieurs et non résidents. Dans notre analyse, on parlera de dette bilatérale avec la France, c’est-à-dire, de l’ensemble des engagements contractés par un État auprès d’un autre État, autour des 400 millions d’Euros (260 milliards de FCFA) (…).

La question de l’endettement oppose bien souvent deux modes de pensée: l’une qui se veut radicale, privilégiant la conduite des affaires courantes à partir des ressources générées par l’activité économique, et l’autre qui s’appuie sur une relance économique à travers un déficit budgétaire, financé par l’emprunt intérieur ou extérieur.

En ce qui concerne l’Etat de Côte d’Ivoire, au sortir de cette crise semestrielle, il existe indéniablement des déséquilibres internes et externes, dont les ajustements ont un caractère impératif. Il s’agit d’arriérés intérêts sur emprunts auprès d’institutions financières et euromarchés, et une amélioration des termes de l’échange et de ses réserves, pour ce qui est des déséquilibres externes, relatifs au solde du compte courant. Ceci étant, il existe aussi une volonté de la part des nouvelles autorités d’installer un climat de confiance auprès de la population, en procédant à des ajustements internes, concernant des infrastructures publiques de base comme l’éducation, le sanitaire et les services publiques.

S’il faut saluer l’esprit de solidarité de la France et de l’Union Européenne mettant à disposition leurs capitaux qui aideront les autorités en place à établir un plan d’urgence et de développement, force est de constater l’absence d’un manifeste d’égard dans la nature même de l’aide multilatérale, qui devrait se subdiviser d’une part sous forme de dons gratuits et de prêts à remboursements ajustés aux performances économiques, au vu de la capacité d’endettement de la Côte d’Ivoire(…)

(Vu) que la fonction publique représente la bagatelle de 70 à 100 milliards de FCFA chaque mois, (et que) des sources concordantes affirment que deux mois de salaire seront ou ont été versés aux fonctionnaires par les nouvelles autorités en place, à partir de ces fonds, (il se pose) la question de savoir comment les autorités précédentes, au plus fort de la crise, avec toutes les contraintes économico-­monétaires et financières qu’elles subissaient, s’acquittaient de cette mission régalienne, sans aucune aide quelconque de la France et l’Union Européenne, bien au contraire! Laurent Gbagbo était-­il un magicien capable de multiplier des billets dans une valise?

(Non). Contre vents et marées, des actes ont été posées au vu de tous (actes, qui après le déferlement des vagues internationales ne peuvent être répétés). Et quand bien même, nous accepterions l’argument de l’assèchement des caisses publiques de l’Etat à la sortie de cette crise semestrielle, l’Etat de Côte d’Ivoire ne dispose-t-il pas de réserves de change et d’un compte courant à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (ou au Trésor Français), institution dans laquelle elle représente au moins le tiers des activités ?

(L’Etat, pourtant opte), pour le financement extérieur, (afin d’honorer) deux mois de paiement de fonctionnaire: (c’est à) se demander si les paiements à venir ne proviendront pas (eux aussi) dudit emprunt. Le ridicule n’est pas à demander de l’aide à son voisin lorsqu’on traverse une période trouble. C’est le paradoxe lié à la nature de l’aide (avilissante qui ressort) dans ce cas de figure.

Dette extérieure: enjeux et problématiques

“Je vous oblige, Monsieur, à m’emprunter de l’argent!”

Voilà comment sonne l’aide bilatérale entre la France et la Côte d’Ivoire, au regard des raisons évoquées par M. Alain Juppé. Les arriérés d’intérêts sur l’Euro-obligation s’élèvent à environ 80 milliards de FCFA, et nous considérons 20 milliards de FCFA auprès d’Institutions Financières Internationales. Ce total d’emplois en prenant compte aussi la fonction publique majorés, atteint à peine la moitié des ressources déployées sous forme de prêt souverain multilatéral à la Côte d’Ivoire.

Abondance de biens ne nuit pas, certes, et toujours est-il que les autorités gouvernementales ont besoin de financement pour assurer leurs investissements, mais le financement extérieur peut-être considéré comme nuisible en développant une propension élevée à l’assistance internationale.

D’ailleurs, l’horizon temporel dans lequel s’est matérialisé cet accord en interpelle plus d’un. Il faut remonter une ou plusieurs décennies [en arrière] pour retrouver une pareille opération de financement. L’année dernière, le Ministère de l’Economie et des Finances et la Primature de M. Soro Guillaume ont du battre des ailes ne serait-ce que pour obtenir 50 millions d’euros auprès des mêmes partenaires, somme qui ne leur a pas été attribuée pour des raisons liées au caractère sociopolitique du pays. Alors de quelle crédibilité dispose donc ces mêmes personnes, à l’heure actuelle, pour se voir accorder dix fois plus ce qui leur a été refusé moins d’un an après?

(…) Quels sont les caractéristiques de cette aide publique ? Sous quelles formes ont porté les négociations à travers l’Agence Française de Développement (AFD) ? Quelle est la capacité d’emprunt de la Côte d’Ivoire ? L’amortissement des fonds à rembourser sera-t-il indexé sur des les matières premières ? Pourquoi des dons n’ont pas été favorisés, au vu des liens historiques et du déroulement des évènements de ce dernier semestre, dans lesquels la France a [clairement établi] sa part de responsabilité? Quels effets positifs possèdent cette recrudescence d’endettement extérieur auprès de ce même partenaire historique ? Autant de questions que le gouvernement se doit de répondre au lieu de nous indiquer l’urgence d’une aide financière considérable dont les raisons sont sujettes à caution. Cela ne fait que mettre en exergue la facilité déconcertante dans laquelle ces autorités comptent tenir les commandes de la gestion du pays.

Il serait préférable que des conditions contraignantes à la disposition des fonds n’aient pas été imposées par la France et les autres pays donateurs de l’Union Européenne, cela pour que les autorités en place puissent conduire en toute liberté et à bon escient les projets qu’elles jugent primordiaux pour les populations et dans un souci de performance économique.

Très souvent les pays qui bénéficient de l’assistance financière à travers des aides budgétaires, affrontent des stratégies de soumission politique partisane, ou, mieux encore, une mainmise sur les ressources naturelles agricoles, pétrolières et minières. La Côte d’ivoire est partagée entre une idéologie de développement visant à conserver son éthique, sa neutralité partenariale, à l’abri d’une apparence d’exploitation étrangère, et celle qui se veut proche des démocraties occidentales, dans une relation père-fils intemporelle.

Le niveau tolérable du financement extérieur actuel proposé au gouvernement sera fonction des répercussions positives sur la croissance et l’amélioration du niveau de vie des citoyens. Un encours important de créances à rembourser a un impact négatif d’un point de vue économique, cela crée souvent un effet domino sur les variables économiques, lorsque le solde budgétaire passe au rouge, nécessitant donc l’appui de l’épargne des ménages ou la hausse des taxes. Cependant, des réformes structurelles et fiscales dans l’administration et dans le privé, associées à de la création d’emplois, porteront des fruits et permettront d’amortir les échéances de la dette.

Il est possible que l’octroi des aides bilatérales ou multilatérales soit dépolitisé; cela permet d’une part d’atténuer l’état de perpétuel asservissement dont souffre bon nombre de pays en développement, victime d’un impérialisme ou d’un néocolonialisme à caractère capitaliste. Amener les pays en développement vers le développement et la responsabilité nationale est un effort auquel s’attèle plusieurs nations développées.

Mais quel visage revêt-il ? Un semblant de compassion, permettant d’intégrer comme un loup déguisé les bergeries subsahariennes ! L’endettement des pays en développement dans le but de réduire la précarité et aider au développement, proposé sous forme de prêts souverains, n’a jusqu’à ce jour pas eu les effets escomptés, A qui la faute ? Les pays se retrouvent victimes des conditions astreignantes et discriminatoires des prêteurs, qui consolident leur hégémonie dans les termes de l’échange, en tirant bénéfice des matières premières et des plans d’ajustement concoctés sous forme d’ingénierie financière. Sans épargner aussi les dirigeants bénéficiaires de ces fonds qui n y en tirent aucune efficacité économique.

Il est avantageux pour l’Etat de Côte d’Ivoire de ne point solliciter les ressources financières extérieures, (sauf) pour des besoins d’urgence à valeur égale aux emplois qu’il veut en faire. Pour le reste, (il y a lieu de) compter sur nos propres moyens, pour mener ses projets de développement. L’aide extérieure ne serait (alors) qu’un soutien d’appoint pour des projets d’envergure, car ne pouvant se substituer au patriotisme économique.

Patrick Laba est PDG de Aurycs Consulting et Editeur Exécutif en charge des Marchés Financiers & Produits Dérivés pour Radical-8.

Article initialement publié sur Radical-8 et disponible également sur Scribd

Source: pensseesnoires

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